Prologue
Rєηcσηтяє
⚠ Sans cesse ⚠
⚠ Sans cesse ⚠

Alors que j’avais encore cet âge où votre mère vous lit une histoire avant de dormir, cette histoire que vous lui ressortez tous les soirs en disant « Maman, lis-moi ça ! Encore! C’est trop bien ! ». Alors que j’avais cet âge où votre mère vous regarde tendrement en vous disant « Encore ? Mais je te l’ai déjà lui au moins dix fois ! Bon, je vais te la lire une fois de plus ». Alors que j’avais cet âge où lorsque vous commenciez à vous endormir dans ses bras, elle se retirait doucement en vous posait un tendre bisou sur le front. Alors que j’avais cet âge où elle admirait votre visage d’enfant serein et innocent avant de s’en aller en laissant la porte juste assez entrouverte pour laisser passer un peu de lumière. Alors que j’avais cet âge où tout ce don’t vous aviez peur c’était le noir.

Alors que j’avais encore cet âge, les yeux fermés, je voyais noir. Pas juste par simple obscurité, signe de manque de lumière. Je voyais déjà plus sombre que ça lorsque je fermais les yeux. Sans cesse le même cauchemar.

Je voyais d’abord ma mère, qui m’amenait à l’école, comme tous les jours. Mon cartable sur le dos, à la fois fière de faire comme les grands, et triste de devoir laisser partir ma mère quand elle m’aurait déposée devant le portail. Mais contrairement à ce « tous les jours », il n’y avait personne pour accueillir les élèves devant le portail. Aucun enfant ne jouant à la princesse ou aux petites voitures dans la cours. Aucun adulte pour me dire « Bonjour toi, fais un bisou à Maman et viens accrocher ton cartable », aucun adulte pour me rassurer avant que ma mère parte au travail et me laisse dans cette prison qu’est l’école, toute la journée. Mais pourquoi était-ce fermé ? Ce n’était assurément pas le week-end, je ne loupais jamais une occasion de rappeler que c’était le weekend à mes parents, je comptais les jours. Heureusement, ma mère, voyant qu’il n’y avait personne, ne partait pas. Elle ne bougeait pas. Je lui tirai la manche en la fixant ses yeux. Une mèche de ses cheveux courts noirs tomba devant son œil. Elle n’eut aucune réaction. Elle regardait le vide, fixait un point invisible. Doucement, elle tourna son visage vers moi et me dit : « C’est pas grave ma fille, on va voir où les autres sont ».

Voyant bien qu’il n’y avait personne dans la cours, on entra dans le premier bâtiment. On poussa la porte blanche et froide de la première salle de classe, où une dizaine d’enfants, les plus petits, jouaient habituellement à la dînette ou trempaient maladroitement leurs petites mains potelées dans la peinture. Personne. Aucun de mes camarades n’étaient là, aucun morveux n’avait de stylo dans la bouche ou ne posait la pointe humide d’un feutre sur le mur à l’origine immaculé de blanc. On fit coulisser le panneau de bois qui menait à la seconde salle de classe : personne non-plus. Personne n’était là pour réciter l’alphabet ou compter jusqu’à vingt. Le silence était d’autant plus pesant que je n’entendais pas ces mélanges de voix aigües et criardes qui s’élevaient dans cette même salle habituellement. Au tableau, il était écrit en majuscules et minuscules attachées une ribambelle de lettres « A ». Des « A » figés.

Toujours serrant , broyant, la douce main de ma mère de ma petite main potelée, nous avancions. En passant devant les toilettes, nous avions jeté un coup d’œil rapide, mais nous doutions de trouver quelqu’un. Un pas après l’autre, on approchait du couloir qui séparait les deux bâtiments principaux. Un pas après l’autre, nous étions de plus en plus certaines de ne trouver personne. Tant pis, nous avancions. Dans le couloir servant de vestiaires, aucun manteau ou cartable ne pendait aux crochets jaunes et métalliques. Pas même une seule veste oubliée ou perdue. Au bout du couloir, la porte en PVC vitrée filtrait une lumière blanche, peu naturelle. Nous ne nous attardâmes pas trop dans le couloir et entrâmes dans la salle de classe des primaires. Personne. La table bleue où la maîtresse posait tous les jours le travail de chacun des élèves était vide. Les chaises étaient rangées sous leurs tables. Aucun papier ne traînait par terre en attendant LE coup de balai de la semaine. Rien. Tout était vide, il n’y avait aucun signe de vie apparent.

Une fois retournées dehors, nous nous dirigions dans le préau. Les vélos étaient tous rangés de façon beaucoup trop ordonnée pour être normale. Tous alignés alors que les enfants passaient leur temps à les entasser là où ils le pouvaient dès qu’ils jugeaient qu’ils les avaient fait tourner en rond assez longtemps, au milieu du préau.

Nous ne savions plus réellement ce que nous cherchions. Aucun mot n’avait été échangé avec ma mère et pourtant je sentais qu’on se comprenait et qu’on partageait ce même sentiment d’étouffement et d’angoisse. L’atmosphère collait à la peau et était sinistrement sombre. Nous faisions le tour de la cour. Plus précisément, on s’approchait d’un buisson qu’on avait vu bouger, nous allions chercher quelle était l’origine de ce mouvement lorsqu’il apparut. Ce chien. Pas un petit caniche tout mignon comme ceux qu’on pourrait trouver dans les fameuses histoires du soir. Non. Un gros chien. Un grand berger allemand d’un marron-noir crasseux. Il montrait les dents pointues et menaçantes, de la salive moussait aux coins de ses babines. En remontant un peu le regard on pouvait remarquer une énorme balafre, remontant depuis sa truffe jusqu’à son oreille coupée en passant par l’œil qu’il lui manquait. Une balafre cicatrisée mais marquée qui lui avait visiblement couté son oreille et son œil droit, et c’était tant mieux, car son autre œil suffisait à contenir toute la hargne et toute l’effroyabilité de cette bête. Cet œil, reflet de son âme : noir, vide, et pourtant qui exprime tant de choses horribles. Son corps, sale et lui aussi rempli de balafres était musclé, signe qu’au moindre de nos mouvements il aurait vite fait de bondir et de nous déchiqueter avant qu’on ait le temps de s’enfuir. Il se tenait là ce chien. Devant nous, il nous fixait, tremblait, grognait, était prêt à bondir.

Alors par imprudence je fis un pas, ma mère ne bougea pas. Le chien, lui, ne manqua pas de bouger. Comme on s’y attendait, il avait déjà bondi. Mais pas sur moi. Sur ma mère. Sous mes yeux je le voyais la déchiqueter, dans un bain de sang, il lui arrachait les membres. La chair volait devant mes yeux. Cette sale bête prenait grand plaisir à déchirer chaque centimètre carré du corps de ma mère. Et je ne pouvait plus rien faire pour l’aider. Personne n’était là pour faire quoi que ce soit. Je savais que je devais fuir, mais je n’y arrivais pas. Ma maman, ses organes qui gisaient à côté de son corps. Quel horrible spectacle. Et ce chien dégoûtant, hargneux qui s’amusait, se défoulait sur son corps sans vie. Pourquoi ne m’attaquait-il pas ?

© Ombre Blanche,
книга «Rencontre avec La Mort».
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