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La femme descendit le gigantesque escalier qui marquait l’entrée de la pièce. La salle de bal était immense, trahissant encore une fois la richesse de la Compagnie. Evy souleva le bas de sa robe pour éviter de se prendre les pieds dedans.
L'odeur du tabac et des autres produits venant des quatre coins de l'univers noyait déjà ses sens. Elle laissa son regard se balader, pour mieux se délecter de la débauche des riches marchands. Si Evy était un monstre, elle n’était sûrement pas le pire de cette soirée.
La musique résonnait si fort qu'elle faisait vibrer les murs du vaisseau. Avec un petit sourire, elle descendit la dernière marche.
Étrangement, c'était quand elle jouait le rôle d'une autre qu'elle se sentait le plus à sa place. Quand elle se débarrassait de son passé et de son nom comme on change de costume. Pour les gens qui la croisaient elle n’était pas la pirate la plus détestée du Trion, juste une simple invitée. Une inconnue dans une masse mouvante.
Elle chercha Nash des yeux. Son acolyte était facilement reconnaissable puisqu'il dépassait d'une tête la plupart des humains. S'il n’était pas le seul Cramionien présent, il était sûrement le plus grand. Quand leurs regards se croisèrent, il hocha la tête. Sa peau grise paraissait bleue sous l’éclairage tamisé.
Il lui tourna ensuite le dos et la pirate n'eut plus dans son champ de vision que ses deux grandes ailes couleur pierre.
Une main se posa alors sur son épaule nue et elle sursauta.
— Vous dansez ? lui demanda un homme dont les boucles blondes partaient en tout sens.
— Seulement si vous me donnez votre nom.
Il sourit et la jeune femme dut reconnaître qu'il était plutôt beau garçon. Ses cheveux auréolaient son visage fin, faisant ressortir ses deux grands yeux noisette. Sa mâchoire était carrée et elle supposa qu'il devait avoir une vingtaine d'années. Malheureusement, elle n’était pas venue ici pour profiter de la soirée.
— Capitaine Nataniel Jorosva, pour vous servir.
À l’entente de son nom, la femme rousse sentit une vague d’adrénaline traverser son corps.
Pas plus tard qu'hier, le groupe de pirates avait reçu une lettre anonyme les invitant à cette soirée. La missive, loin d’être anodine, contenait les plans du vaisseau et le lieu dans lequel était caché ce que l'auteur avait décrit comme “un objet inestimable”.
Cet informateur leur avait indiqué plusieurs noms dont celui qui détenait les clefs du coffre fort.
Le capitaine Nataniel Jorosva.
Quand elle tourna la tête, une mèche couleur feu glissa sur son épaule, accrochant le regard de Nataniel. Il lui tendis une main gantée de blanc dont elle se saisit.
— Puis-je avoir votre nom ? tenta son cavalier.
Elle lui décocha son sourire le plus charmeur, faisant glisser, comme par inadvertance, la bretelle de sa robe. Les yeux chocolat du capitaine se troublèrent un instant. Il déglutit.
— Rose, je m'appelle Rose.
Sur ce beau mensonge, Evy entraîna le jeune homme sur la piste.
Ils s’avancèrent au milieu des autres danseurs. Le capitaine fut le premier à poser ses mains sur les hanches de la femme rousse mais il y avait une certaine retenue dans ce geste. Presque de la douceur. Malgré sa carrière militaire et son visage coupant, il dégageait une certaine chaleur.
La pirate ne s'embarrassa pas de la même attention. La tendresse de son cavalier l'agressait. Parce que son armure était solide face à la colère et la haine, sentiments que les autres ressentaient le plus souvent à son égard, mais elle s'effritait sous des émotions plus pures.
Elle passa ses bras derrière la nuque de son cavalier. Approchant son visage du sien.
Leurs corps enlacés dans une étreinte, ils se balancèrent au rythme de la musique. Evy posa sa tête sur l’épaule du capitaine, observant la salle. Les danseurs tournaient autour d'eux, tous parés d’atours extravagant. Alors que la musique montait en intensité, elle observa un couple s’éloigner de la piste.
La pirate fit glisser sa lèvre sur le lobe de Nataniel. Pourtant, au lieu de frémir, il se tendit et recula. Elle tenta de le retenir mais il fit un pas en arrière et la distance entre eux augmenta considérablement.
Planté sur la piste, il la fixa. Son cœur battait la chamade et envoyait des décharges électriques dans tout son corps. Alors qu'elle s’approchait, il tendit un bras devant lui.
— S'il-vous-plaît, dit-il sans vraiment savoir ce qu'il demandait.
Elle le fixa un instant avec ses yeux gris puis elle lui fit signe de la suivre. Il lui emboîta le pas sans vraiment savoir s'il était guidé par sa raison ou son désir.
Ils s’éloignèrent du centre de l'animation et reculèrent dans un couloir. Evy attrapa la nuque de Nataniel et l'embrassa.
Le monde du capitaine explosa. Il posa les mains sur le mur dans son dos pour se retenir. Le baiser de cette femme avait un goût différent. Ce n'était pas du désir, même pas de l'amour mais de la rage. La rage de vivre, la rage de vaincre, il ne savait pas trop.
Elle l’embrassait avec colère.
Evy glissa ses mains sur la chemise du capitaine juste avant qu'il ne la repousse à nouveau. Son regard chercha le sien et leur prunelles – brunes et grises – entrèrent en collision.
La pirate se recula, recoiffant ses cheveux roux d'une main.
— Pourquoi ? lâcha Nataniel le souffle haché.
Elle se dégagea de leur confrontation visuelle en tournant la tête. Sa respiration sifflait à ses oreilles.
— Je dois y aller.
Sur ces mots elle se détourna, le laissant seul au milieu du corridor.
Elle se fit violence pour calmer son rythme cardiaque alors qu'elle enfonçait dans le vaisseau. Les clefs tintèrent quand elle ouvrit sa main pour les observer.
La femme rousse accéléra le pas puis jeta un regard dans son dos pour vérifier que Nataniel ne la suivait pas. Elle regretta de ne pas avoir de moyens de contacter le reste du groupe pour les prévenir qu'elle avait volé les clefs au capitaine Jorosva.
En espérant que leur informateur sois fiable, elle traversa le vaisseau. Ses talons claquaient contre le bois de mizan, résonnant dans le corridor. La pirate s’arrêta pour les retirer. Elle les abandonna dans un renfoncement avant d’accélérer le pas.
Les portes se ressemblaient toutes ; de grands battant aux rainures sombres et aux poignées de cuivre. Une odeur de cirage flottait dans l'air, lui brûlant les poumons à chacune de ses inspirations.
Des voix graves résonnèrent soudain, accompagnées de deux grandes ombres. Les silhouettes se profilèrent au bout du couloir.
Le rythme cardiaque d'Evy s’accéléra. Ses mains glissèrent avec précipitation de poignées en poignées. Elle rencontra plusieurs pièces verrouillées avant de trouver échappatoire. Sans se poser plus de questions, elle se glissa dans l'ouverture. Le cœur battant, elle s'appuya au bois dans son dos.
Elle entendit les deux gardes de la Compagnie passer devant sa cachette. Au bruit de leur démarche elle devina qu'ils étaient passablement éméchés. Leurs rires gras ne firent que confirmer cette théorie. L'un d'entre eux trébucha, manquant d’enfoncer la porte derrière laquelle la femme rousse s’était réfugiée.
Ils s’éloignèrent enfin, emportant leur haleine alcoolisée avec eux. Evy survola la pièce des yeux. Elle était sans aucun doute dans une chambre. La cabine n’était meublée que d'un lit et d’une armoire aux couleurs sobres. Les murs étaient si peu décorés qu’elle aurait pu paraître inhabitée sans les draps dérangés et la chemise traînant au sol.
Prenant une inspiration rapide, elle jeta un coup d’œil à l'extérieur. Le corridor était à nouveau désert, seulement éclairé par des néons fixés au murs.
La pirate sortit de sa cachette, reprenant son chemin initial.
L’adrénaline courait dans ses veines. Elle tourna à l'angle de couloir. Découvrant un escalier aussi sombre que le reste du vaisseau. Elle s’y précipita.
Ses pieds nus sur le parquet inégal, elle descendit à l’étage inférieur. L’obscurité engloutit l'endroit avant qu’elle n’arrive en bas. Son souffle résonnait de le lieu étroit. Sa descente avait tout d'une descente aux enfers, jusqu’à la chaleur insoutenable.
Une odeur de cuivre et d'essence l'accueillit alors qu'elle arrivait dans la calle. Le lieu était baigné d'une lueur orangée. Ignorant tant bien que mal le grondement des moteurs, Evy s’enfonça dans le lieu.
Elle fit courir ses yeux dans chaque recoin. Sa main moite serrait la clef de capitaine avec une vigueur redoublée. Un filet de sueur de faufila entre ses omoplates.
Un reflet attira finalement son attention.
La pirate s'approcha du coffre-fort. La caisse en question mesurait à peine dix centimètres de diamètre. Elle était noire comme l’espace. Quand la pirate la toucha un froid intense prit possession sa main. Intriguée, elle inséra la clef dans le verrou qui céda avec un petit cliquetis.
Une minuscule carte électronique était disposée au milieu. L'objet n’était pas plus grand que son ongle. La jeune femme repoussa les cheveux qui collait à son front. Ses fins sourcils étaient froncés.
—Quel est ce machin ? s'entendit-elle murmurer.
Elle ne pu malheureusement pas approfondir son analyse puisqu'une alarme se mit à résonner. Le sifflement aiguë couvrit jusqu'au bruit de ses pensées.
La pirate se releva d'un bond, attrapant son butin d’une main. Elle le glissa dans une des poches cachée de sa robe. La soie rouge frémis.
Une voix robotique se mis alors à cracher depuis les hauts parleurs :
—Toutes les unités sont priées de se diriger vers le poste de commandement, des consignes vous seront données sur place.
Le sang battant à ses tempes, la femme rousse se saisit de son arme. Le pistolet était élancé, muni d'une crosse en nacre et d'un générateur automatique. Avant qu'elle ne se retrouve bloquée dans les sous-sols, elle s’élança dans l’escalier.
Ses pieds nus s'égratignèrent sur le bois irrégulier mais elle passa outre. En quelques secondes elle s'extirpa de la montée, débouchant sur le couloir.
Des voix retentirent et elle se précipita dans le couloir opposé. Le cœur battant, elle serra l'arme dans son poing. Soudain, deux soldats surgirent au détour d’un couloir.
C’était un homme et une femme, tout deux engoncé dans l'uniforme bleu nuit de la Compagnie. L'absence de broderie dorées à leur manchettes les présentaient comme des jeunes recrues. Ils n'avaient sûrement pas encore atteint la vingtaine.
Evy tendis le bras et tira. Le recul de l'arme faillit la faire trébucher. L’un après l'autre les soldats tombèrent au sol. Alors que le parquet se couvrait de vermeil, la femme rousse enjamba les cadavres pour continuer sa route.
Ses mains ne tremblaient pas. Tuer ou mourir, telle était la loi des pirates. Il n'y avait pas d'alternative, pas d'autres options.
Elle déboucha sur un hangar. Contre le mur était fichées des cabines de secours. Elle s'installa dans la première, se forçant à calmer son palpitant.
Tout autour d'elle les voyants clignotaient rouge, informant l’équipage de la présence d'un groupe de pirates clandestins. Un écran en face d'elle rappelait les consignes de sécurité lors d’une attaque.
Evy pianota un instant sur l'écran et bientôt le cabine fut plongée dans le noir. Elle s'enfonça dans la banquette blanche. Le moteur de mit à gronder, faisant trembler les parois autour d'elle.
Un crissement de métal retentit et elle fut projetée dans l’immensité spatiale.
On ne s'habituait jamais à voir l'espace et les galaxies s’étendre autour de nous. On n'acceptait jamais vraiment le fait de n’être qu'un grain de poussière dans l’univers.
Même après avoir rencontré les espèces plus ou moins humanoïdes des neuf planètes du Trion, les Hommes n’acceptaient toujours pas leur petitesse.
Au travers de la vitre Evy apercevait les étoiles et les galaxies lointaine, leurs lueurs éclairaient son visage d'une lumière fantomatique. Une ombre noire mit fin à sa contemplation. Un vaisseau en mauvais état se dirigeait vers elle.
Elle glissa sa main dans sa poche pour vérifier la présence de la carte informatique nouvellement volée. Sa cabine atterrit dans un hangar de bois.
Kirsi l'attendait. En la voyant, la Sarienne leva les yeux vers elle. La jeune femme qui lui faisait face avait la peau bleue, de la même couleur que le ciel terrestre. Des arabesques tatouées s’entremêlaient sur ses bras et sur ses tempes.
Des cheveux noirs et lisse entouraient son visage rond.
—Tu l’as ? demanda-t-elle.
Evy hocha la tête en lui tendant l'objet en question. Kirsi prit une seconde de trop pour se saisir de la carte informatique.
Une douceur éraflée brillait dans ses yeux noirs. La tension entre les deux femmes fut brisée par l'arrivée du reste de l’équipage.
—Alors tu l’as récupéré ? lança une Silnavienne à l’épiderme vert.
La troisième arrivante ne mesurait pas plus d'un mètre vingt mais son caractère compensait largement cette différence de taille. Elle haussa un sourcil moqueur devant le silence de ses équipiers.
Nash, positionné juste derrière elle, les fixait de son regard déstabilisant.
—Oui, finit par avouer Evy. Mais ce n’est pas vraiment ce à quoi nous nous attendions.
Et sur ces mots, Kirsi leur présenta leur butin.
© Mlle_Or,
книга «L'Artefact du Trion».
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Noémie
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Wow ! Cette histoire promet ! J'ai direct accroché à ton style d'écriture, le texte est très propre ! Quelque chose me dit que Evy recroisera ce capitaine Nathaniel... Hâte de lire la suite !
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2020-11-07 12:11:32
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