Prologue
Avant
Après
.Avant
.Après
Après
« ... le plus grand succès musical de la décennie. Ils sont un véritable phénomène sur le net ! Des voix hors du commun reconnaissables entre toutes mais des visages inconnus cachés derrière un écran, je vous parle évidemment du groupe qui connaît un buzz énorme sur YouTube, les Eight ! »

J'éteins la télévision d'un geste nonchalant. J'ai encore du mal à déterminer si la soudaine notoriété nationale de notre chaîne YouTube est une chance incroyable ou bien un piège plus vicieux qu’il n’y paraît. Je vais donc devoir m’en remettre au temps.

— Hé, pourquoi tu as éteint la télé ? Ils parlaient de mon nouveau groupe préféré ! piaille Léona en me reprenant la télécommande des mains.

Je la laisse faire, encore perdue dans mes pensées. Ça aussi c'est nouveau, cette cohabitation avec une enfant énergique de quatorze ans, son grand-frère de vingt ans et un beau-père bien trop souriant pour être tout le temps sincère. Un nouveau cadeau de la vie qui avait permis à ma mère de se recomposer une famille.

Ma mère a jalousé ma complicité avec mon père depuis mon plus jeune âge. Alors qu’il ne cessait de vanter mes mérites comme mon chant et ma capacité d’analyse, elle n’a eu de cesse de s’opposer à lui en soulignant mon apparente banalité. Selon elle, je ne servais qu’à causer des ennuis. Elle a souvent eu des mots durs à mon égard, et lorsqu’elle allait trop loin avec des gestes, mon père n’hésitait pas à quitter son habituelle humeur enjouée pour entrer dans une fureur noire. Ma mère ne me parlait plus pendant des jours après ce genre d’épisode et se contentait de me jeter des regards assassins dès que nous nous retrouvions seules dans une pièce. Je me suis faite à la froideur maternelle et j’ai rapidement cessé de venir chercher son attention et son approbation. La présence de mon père a largement suffi à combler le manque qu’elle aurait pu créer en moi.

Lors des dix-huit mois qui ont succédé sa mort, ma vie a connu un tournant drastique. Ma mère n’a cessé de me reprocher la mort de mon père, me hurlant dessus à pleins poumons que je lui avais arraché son mari en me l’accaparant égoïstement, que j’étais une fille ingrate qui ne méritait pas qu’elle me garde. J’ai accusé ses paroles sans broncher, essayant de mettre sa violence sur son haleine alcoolisée. Elle s’est repliée sur elle-même au bout d’un an et demi, sans aucun signe précurseur. Nous avons alors commencé une cohabitation avec une froideur courtoise. Nous nous évitions au maximum et limitions nos échanges au strict minimum. Toutefois, elle ne me balançait plus qu’une insulte sans réel mordant de temps en temps et de mon côté, je tâchais sous forme de remarque de lui éviter d’avaler de l’alcool en même temps que ses anti-dépresseurs. Avec les années, j’ai compris qu’elle ne me pardonnerait jamais d’avoir obtenu toute l’attention et tout l’amour de mon père à son détriment. Je ne serais pas étonnée de l’entendre me dire un jour que ma création a été sa plus grande erreur. Je me contente désormais de la regarder avec un mélange de compassion et d’amertume, son jugement a tellement été obscurci qu’elle n’a jamais compris que mon père avait de la place pour toute forme d’amour en lui.

Alors que j’allais sur mes seize ans, elle a ramené un homme à la maison, Antoine et ses deux enfants, Léona et Dimitri. J’ai fait comme si tout était normal, comme si elle m’avait déjà parlé d’eux et qu’il était dans l’ordre des choses que je prenne conscience de leur existence le jour de leur installation chez moi. J’ai souri et je me suis tue. J’ai pris l’habitude de me taire quand il le fallait.

Nos nouveaux colocataires ont tout de suite mis une nouvelle atmosphère dans cette maison qui ne connaissait plus la vie. Ils ont tous les trois montré une grande curiosité à mon égard – eux avaient apparemment entendu parler de moi. Je me demande bien ce que ma mère a pu leur dire. Je suis restée polie malgré leurs nombreux sourires, mais réservée. Je n’accorde pas ma confiance au premier venu, mais lorsque je le fais, c’est avec une profonde dévotion.

J’ai mis des années à m’ouvrir de nouveau après la mort de mon père. Je ne trouvais plus personne qui en était digne d’intérêt. Jusqu’à ce que je les rencontre et que nous formions un groupe. Cela m’a demandé du temps, mais j’ai fini par faire tomber toutes mes barrières pour eux. Depuis des années, je considérais que je n’avais plus de famille mais j’ai choisi d’en former une nouvelle avec eux.

Mon regarde se porte de nouveau vers l’écran de télévision, que Léona a de nouveau allumé. L’extrait d’une vidéo d’un groupe de sept jeunes jouant et chantant une musique de leur composition. Je reconnais immédiatement Times never stops life et un sourire vient relever le coin de mes lèvres.

— C’est une de mes préférés ! piaille la petite rousse affalée sur le canapé.

Si j’en avais quelque chose à faire, je lui ferais remarquer que du liquide coule de son yaourt et salit le canapé. Je reste silencieuse et elle commence à entonner les paroles, cafouillant sur les parties en anglais, ce qui m’arrache une grimace. Appelez ça de l’intolérance si vous voulez, mais je ne peux m’empêcher de me crisper lorsque j’entends quelqu’un chanter faux. Surtout sur cette chanson.

— Hé, tu sors Mae ?

Je me tourne vers Dimitri qui vient de m’apostropher alors que j’enfile ma veste en cuir. Depuis les deux ans que dure notre cohabitation, c’est avec lui que j’ai tissé le plus d’affinité et que je suis la plus encline à la discussion.

— Oui, je vais chez les Price, annoncé-je.

— Encore ? Je vais finir par croire que c’est ta deuxième maison.

— Ça n’en est pas loin, avoué-je à moitié.

Il rit, sans vraiment savoir si je plaisante ou non. Or, je suis tout ce qu’il y a de plus sérieuse. En fait, je me sens bien plus la bienvenue là-bas qu’ici. Mais ça, je n’ai pas besoin de le préciser.

— Tu rentres pour le dîner ? s’enquière-t-il alors.

— Je ne pense pas. À plus, le salué-je sans savoir quoi ajouter.

Il n’est pas rare que je m’absente longtemps de la maison. Le plus souvent pour aller chez les Price, mais aussi parfois pour aller chez un autre membre du groupe, en particulier mon meilleur ami, Jérémie. Il a été le premier à recueillir tous les états d’âme que j’ai encaissé depuis des années et honnêtement, même si j’éprouve une sincère dévotion pour tout le groupe, il n’y en a pas deux comme Jérémie pour me mettre en confiance.

Je prends la vieille voiture de mon père pour conduire jusqu’aux XVIème arrondissement où habitent les Price. C’est une riche famille anglaise venue s’installer en France il y a neuf ans. J’étais dans la même classe que les jumeaux, Elijah et Keziah, au lycée bilingue que nous fréquentions. Nous sommes devenues très proches et ses parents m’accueillent toujours avec grand plaisir, s’assurant que je me sente toujours chez moi. C’était plutôt réussi, j’avais pour le cadet, Jamie, la tendresse qu’on éprouvait pour un petit frère. En revanche, leur frère aîné, Mickael, me sort par les yeux. C’est simple, lorsque nous avons le malheur de nous croiser dans leur immense maison, souvent lors des repars, c’est la joute verbale assurée. Bien qu’il soit anglais, je prends un soin particulier à prononcer son prénom à la française, ce qui a le don de lui faire voir rouge. J’apprécie moins en revanche quand il me rend la balle en m’appelant l’alien pour bien marquer ma différence. Crétin de Mickael.

Je rentre directement dans la cour, il ne faut pas s’attendre à trouver de la place dans les rues de Paris et j’ai acquis certains privilèges depuis le temps. Alors que je remonte l’allée, le reflet des rayons de soleil sur les murs blancs de la demeure m’éblouit. Si je suis plutôt dans la tranche aisée grâce à l’héritage de mon père qui m’a hautement privilégiée par rapport à ma mère, je suis quand même assez loin du niveau de haute-bourgeoisie des Price.

C’est malheureusement Mickael qui m’ouvre la porte après que j’aie tapé. Je suis sûre qu’il a entendu ses oreilles siffler et qu’il veut se venger.

— Tiens, l’alien. C’est toujours un déplaisir de te voir.

Kathleen intervient depuis la cuisine pour le réprimander avant de nous rejoindre, les mains pleines de pate à gâteau et de farine.

— Mae, ma chérie ! N’écoute pas ce grand nigaud, tu sais parfaitement que la porte t’est toujours ouverte, affirme-t-elle en me claquant deux bises vives sur les joues.

Je jette un regard victorieux à sa progéniture par-dessus son épaule avant de me recomposer une expression neutre lorsque Kathleen se recule.

— Les garçons sont dans la chambre d’Elijah, m’apprend-elle en connaissant bien la raison de ma venue. Tu restes avec nous ce soir bien sûr ?

Bien que nous ne soyons qu’en début d’après-midi, le schéma de ce type de soirée s’est assez souvent répété pour savoir que les Price, excepté Mickael, vont trouver le moyen de me faire m’attarder ici jusqu’à ce que je finisse par m’endormir dans la chambre d’ami qui a fini par m’être attribuée.

— Avec plaisir, merci Kathleen.

— Pas besoin de remerciement ma chérie, cette maison manque affreusement de présence féminine !

Je lui donne raison dans un rire complice avant de disparaitre dans le large escalier de l’entrée pour monter jusqu’à la chambre d’Elijah. De la musique parvient à mes oreilles sur le palier devant sa chambre et j’entre sans prendre la peine de frapper pour trouver les deux jumeaux sur installés sur le lit. Elijah est assis, une jambe repliée sous lui, la guitare à la main tandis que Keziah, assis en tailleur en face de lui, l’accompagne au chant en donnant la pulsation avec un stylo.

— Hey, moins fort les gars. Le concept d’identité secrète vous connaissez ?

— Bien sûr, tu parles à un fan de Marvel, réplique fièrement Keziah alors que deux têtes blondes aux yeux bleus se tournent vers moi.

Je lève les miens au ciel. La blondeur est un signe caractéristique de la famille Price, Mickael encore à part puisqu’il est issu du premier mariage de leur père. Les jumeaux se ressemblent fortement mais restent facilement différenciable. Elijah a les cheveux couleur miel, un regard plus foncé et intense ainsi qu’une carrure plus musclée et carrée. Son frère a plutôt la chevelure couleur blond vénessien, des yeux doux et des traits aux limites de l’androgyne sans pour autant perdre de sa masculinité.

— Sérieusement les gars, faites gaffe. Je ne crois pas que Jamie tiendrait longtemps sa langue s’il apprenait que ses frères faisaient partie des Eight.

— Relax Mae, me rassure Elijah en posant sa main sur la sienne comme je me suis rapprochée d’eux. Jamie et papa sont absents, maman en a pour des heures en cuisine et Mickael s’est encore enfermé dans son bureau pour ses trucs de matheux.

— Désolée, les mecs, soupiré-je alors. Je sais que vous faites attention mais je ne peux pas m’empêcher de m’inquiéter parfois.

— Pas de soucis, c’est normal. C’est toi qui gères le plus gros du groupe et je sais que ça n’est pas facile tous les jours.

Je hoche la tête, moyennement convaincue.

— Tu vas pouvoir juger notre nouvelle interprétation de The Rembrands puisque tu es là, poursuit Keziah en tapotant l’oreiller à côté de lui. Je ne me fais pas prier et prends place alors que les premiers accords emplissent l’espace de la pièce, m’entraînant moi aussi dans l’atmosphère du moment.

So no one told you life was gonna be this way

Your job's a joke, you're broke

Your love life's DOA

It's like you're always stuck in second gear

When it hasn't been your day, your week, your month

Or even your year, but

I'll be there for you

© EightNoAme,
книга «Eight».
Коментарі
Упорядкувати
  • За популярністю
  • Спочатку нові
  • По порядку
Показати всі коментарі (3)
Sakura
Après
J'adore ! On en apprend plus sur le cadre de vie de Mae, ses amis, etc. C'est vraiment captivant 😍😍
Відповісти
2020-10-11 20:34:53
3
Grisoubook
Après
@ Sakura tout ce que j'ai pensé xD
Відповісти
2020-10-16 06:04:55
2
Shella
Après
La transition par rapport au chapitre précédent est vraiment bien trouvée ! J'adore le concept de l'idée inconnue avec le groupe de musique. Je me demandais juste, est-ce que c'est vraiment possible d'être aussi connu dans la musique en restant anonyme ? Tu présentes très bien la famille de Mae, je me représente très bien le cadre familial pas facile 😕 Une belle découverte pour l'instant 😁
Відповісти
2020-11-11 21:28:21
1